Militante de l’AFPS Meurthe-et-Moselle Nord, j’ai participé en octobre 2019 à une mission en Palestine. À mon retour, lors de trois soirées de témoignage, organisées par mon groupe, j’ai souhaité mettre à l’honneur la femme palestinienne. Tout particulièrement deux rencontres ont marqué la femme, militante et mère que je suis.
Myassar
Keffieh sur la tête, jean, t-shirt et baskets, Myassar nous attendait devant chez elle : « Bienvenue parmi nous ». Malgré sa petite taille, plantée au milieu du groupe, elle se démarque par son large sourire et la force qui se dégage de sa personnalité.
Au premier regard, j’ai tout de suite su qu’elle était le genre de femme combative, que j’ai toujours secrètement rêvée de rencontrer. Un personnage avec qui on pouvait discuter des heures durant sans se lasser. Aux côtés de qui on pouvait tant apprendre et qui serait capable, en cas de résignation, de nous inspirer et de nous redonner la motivation nécessaire pour continuer à militer et lutter.
Une fois les présentations faites, Myassar nous invite donc à la suivre afin de rejoindre les oliveraies pour la cueillette, raison de notre présence dans le village d’As-Sawiya, à environ quinze minutes de Naplouse.
Au milieu des oliviers, Myassar nous explique avoir perdu sa maman quelques semaines auparavant. Extrêmement touchée mais toujours aussi souriante, pleine de vie et d’espoir, malgré l’épreuve qu’elle venait d’endurer.
À un certain moment de la journée, un colon qui faisait son jogging s’approche de nous en nous « autorisant » à rester sur ces terres tel un grand seigneur. Sur ces mots, Myassar court dans sa direction avec détermination et rage en lui disant de dégager et ajoutant qu’elle se trouvait sur ses terres, celles de ses ancêtres. Ce fut pour moi émotionnellement fort et impressionnant car on se demande toujours, dans ces moments-là, comment nous aurions réagi et jusqu’où pourrions-nous aller pour protéger nos terres, protéger les nôtres… sans se faire gagner par la peur, par exemple.
L’image de cette grande dame se précisait au fur et à mesure de la journée. Une fois la cueillette terminée et arrivé le moment de se quitter, Myassar apprend que notre logement est payant. Pour elle, il était hors de question de payer quoi que ce soit alors qu’elle possédait un appartement dans lequel elle pouvait nous loger gratuitement. Une grande générosité qui coulait de source pour elle.
Arrivée chez elle, je découvre un endroit à la fois convivial, chaleureux et empreint d’une histoire et d’un vécu extrêmement riche en événements, émotions, souvenirs, comme si chaque objet racontait une histoire bien particulière. Sans le savoir, nous logions chez une figure du Front Populaire de Libération de la Palestine, dont la vie a été consacrée à son peuple.
Sahar
La deuxième rencontre féminine de mon séjour s’est faite au sein des locaux de l’association Addameer, association de défense des droits des prisonniers palestiniens. Alors que nous arrivons à Ramallah un vendredi, nous avons l’immense plaisir de rencontrer Sahar. Comme toutes les personnes rencontrées précédemment, elle nous accueille très chaleureusement… avec cette impression que les Palestiniens ont tous le même sourire et une sorte de don pour accueillir et mettre à l’aise.
Après quelques explications sur la situation des prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes et après avoir répondu à quelques-unes de nos questions, Sahar reçoit un appel téléphonique. Nous ne comprenons pas la discussion mais on sent bien à l’expression de son visage que quelque chose de très grave s’est passée. Après avoir raccroché, elle nous explique qu’elle était en ligne avec l’épouse de Samir Arbeed, prisonnier palestinien qui a été torturé durant un interrogatoire et à présent hospitalisé dans un état critique. Sahar nous apprend qu’un soldat israélien a « malencontreusement » déversé du gaz lacrymogène dans sa chambre.
Alors qu’elle apparaît fortement touchée et éprouvée par cette terrible nouvelle, elle refuse d’interrompre la rencontre et tient à répondre à nos questions. Nous décidons de raccourcir l’échange pour la laisser rendre visite à Samir à l’hôpital et être aux côtés de son épouse.
En pensant à Sahar, je me demande comment elle trouve la force de continuer à militer et à se battre pour le droit des autres, malgré toutes les horreurs de la colonisation, les injustices dans les prisons, toutes les situations auxquelles elle a été confrontée telles que celle de Samir, sans baisser les bras. Nous ne pouvons être qu’admiratifs devant cette générosité, ce don de soi.
Classiquement, dans les conflits, les femmes sont considérées comme vulnérables, souvent placées au même rang que les enfants, devant être épargnées et protégées.
En Palestine, les femmes sont partie intégrante de la lutte.
Les femmes palestiniennes sont les piliers de leur famille, de leur société et de la lutte de leur peuple. Par différents moyens, elles essaient de s’imposer au sein de la société pour défendre leurs droits civils, sociaux, politiques et économiques, malgré les difficultés qu’elles rencontrent à peser dans les différents processus de décision. Leur combat est d’autant plus difficile et complexe qu’elles doivent militer à la fois dans une société restée largement patriarcale, mais aussi une société dominée par la colonisation et l’apartheid au quotidien.
Si ces deux rencontres m’ont particulièrement marquée, j’ai été fascinée, durant toute la mission, ainsi qu’à mon retour, par tous ces témoignages sur l’engagement des femmes palestiniennes dans les grands moments de la lutte de leur peuple.
Durant la première intifada, des femmes étaient photographiées au premier rang des manifestations, parfois lançant des pierres face aux soldats lourdement armés et à leurs chars. La tête haute, toujours, elles faisaient face. Durant mon voyage, je les ai rencontrées. De tous les âges, de toutes les situations sociales. Leur point commun reste la détermination, la dignité et la force qui se dégageait de leur regard.
Luhar
Mon témoignage aurait pu s’arrêter là, mais il n’aurait pas été complet. Une troisième rencontre, bien différente, mérite aussi d’être retranscrite. Elle a eu lieu autour d’un café, sous un beau soleil sur un rooftop, au cœur de Tel-Aviv. C’est là que nous rencontrons Luhar, une jeune juive israélienne membre de l’association Mesarvot (« Refuser » en hébreu) qui accompagne, aide et soutien les lycéens qui refusent d’effectuer leur service militaire, les refuzniks.
Le service militaire en Israël est obligatoire pour les citoyens juifs (à l’exception des religieux ultraorthodoxes) : deux ans et demi pour les garçons et un an et demi pour les filles. Luhar nous explique les conséquences et les difficultés auxquelles font face ceux et celles qui refusent publiquement l’incorporation pour motif politique. Comme elle, ils sont mis au ban de la société et subissent une pression sociétale voire médiatique, très difficile à supporter.
Généralement, l’institution militaire tente de les diagnostiquer comme des radicaux ou des « fous ». Pour certains, c’est direction la case prison pour une durée de quelques semaines à plusieurs mois. Si refuser l’armée paraît être un acte « logique » en tant que militant de la cause palestinienne vivant en France, Luhar nous fait prendre conscience du courage et de la détermination qu’il faut avoir pour assumer un tel acte à la sortie de ses années lycée dans une société si militarisée. Faire face aux insultes publiques, être exclu d’une partie de sa société.
D’ailleurs, son témoignage montre aussi toute la diversité de ceux qui refusent, au-delà de la solidarité avec les Palestiniens, c’est pour contester le poids trop important de l’armée dans sa société que Luhar a fait ce choix. La critique de l’occupation vient après.
Myassar, Sahar, Luhar : elles ne se connaissent sans doute pas mais elles ont un point en commun, elles incarnent des lueurs d’espoirs et représentent des modèles de détermination pour nous toutes. C’est la leçon que j’ai retenue. En tant que femmes, il ne faut pas simplement être admiratives de leur résistance, mais il faut s’en inspirer.
Comme elles, ne nous résignons jamais.
Farida Berbache